Pierre et Nicolas, passion planète Terre
L’un, sobre et réservé est reconnu comme un sage des temps nouveaux. Pierre Rabhi, fils de forgeron, s’est lui-même forgé paysan sans-frontière. Né dans le désert du Sahara, devenu pionnier de l’agriculture biologique en Ardèche, il fait maintenant pousser des légumes dans le désert.
L’autre, hyper-médiatique, nous agace parfois de ses surplus d’enthousiasme, mais on l'aime. Nicolas Hulot, à trop fréquenter la nature dans des situations extrêmes, s’est laissé séduire par son extrême beauté et s’en fait le plus formidable chantre.
Partis de mondes opposés, les deux hommes devaient se retrouver car ils œuvrent dans la même direction : nous faire aimer la Terre, la vie, l'humanité.
A l’automne dernier, ils nous ont offert un livre : Graines de possibles, dialogue passionné sur l’avenir de l’humain sur la planète Terre. Décroissance soutenable, développement durable, chacun croit à une méthode et espère un avenir durable pour l’humanité qui court aveuglément à sa perte. Mais les deux chevaliers au grand cœur se retrouvent sur des solutions simples à mettre en pratique au quotidien, car chacun de nous est responsable de l’avenir que nous offrons aux enfants d’aujourd’hui. Ne consommons plus idiots, apprenons la sobriété heureuse, participons par nos choix à sauver le monde jour après jour !
« Graines de possibles », de Nicolas Hulot et Pierre Rabhi, 2005
Fragments d’échange
P.R. Un véritable progrès ne nie pas ses fondements et ses racines. Je reproche à la modernité de nier le passé.
N.H. Un ancien roi du Zanskar, ce pays de l’Himalaya indien, disait : « La connaissance sans cœur n’a pas de valeur. » Dans la notion de cœur, il y a l’acceptation que nous ne sommes pas nés d’aujourd’hui.
P.R. Il ya de l’orgueil et de la vanité dans toute forme de modernité. Nous nous sommes convaincus que la raison devait remplacer la nature, et que l’être humain pouvait reprendre complètement en main son propre destin, et l’orienter. Mais c’est un manque total d’humilité et d’écoute face à notre passé et à la nature. La nature est pourtant le plus vieux laboratoire du monde.
N.H. Nous nous vantons des attributs du progrès sans même savoir nous en servir. Combien d’entre nous se vantent d’avoir un ordinateur et ignorent en réalité comment il fonctionne ? Et quand on va à la campagne, on ne sait pas plus comment pousse une betterave … Le grand désarroi tragique de l’homme moderne, c’est de ne plus être relié à rien.
…
N.H. […] Que nous importions des bananes parce que nous n’avons pas le climat pour les produire, pourquoi pas ? Mais le problème est que nous importons des aliments que nous pouvons parfaitement cultiver chez nous. Tout cela parce qu’on a divisé le monde en grandes zones de monoculture. C’est un système aberrant, d’autant plus que nous savons aujourd’hui que nous sommes arrivés à saturation.
Il faudra bien à un moment ou à un autre, rationaliser. Il va falloir inciter le consommateur à choisir les produits qui viennent de sa région. Comme toi, je suis totalement en faveur de la relocalisation de l’économie. Il faut favoriser les cultures vivrières. […]
P.R. Quand on mange des fruits ou des légumes hors saison en Europe, cela nécessite de chauffer les serres à coups de fuel. C’est complètement stupide. Pourquoi ne pas attendre la saison ? cela permettrait déjà une économie importante de ce pétrole dont on redoute la raréfaction à court terme.
Image trouvée sur Flickr qui ressemble à un paysage des côtes d'Armor
(je mets une photo perso dès que possible)
N.H. Est-on plus heureux quand on mange des cerises en hiver ? Le bonheur, au contraire, c’est d’attendre la saison. Sinon autant déplacer Noël au 15 août ! Nous avons déplacé le curseur jusqu’à l’excès.
Bien entendu, si nous passions à un autre mode de production agricole du jour au lendemain, si nous imposions cette mesure par décret, nous ferions face à une fronde légitime des agriculteurs. Mais vu ce que l’agriculture productiviste génère comme maux que la société doit prendre en charge économiquement, humainement et médicalement, il y a largement de quoi développer de nouvelles pratiques et réorganiser le système. En plus, nous participerions à la reprise de l’emploi.
P.R. L’alternative que propose l’agriculture écologique est aussi sociale. Substituer une technique à une autre pour le simple plaisir de changer ne m’intéresse pas. Mais notre alternative peut aussi générer un remodelage et une reconsidération générale du mode d’organisation du foncier et de la répartition du travail. Sans compter l’abolition des nuisances et des coûts cachés sur la nature, et des biens vitaux que sont les sols, l’eau, et la biodiversité domestique.
N.H. Tu parles avec raison de la nécessité de réorganiser et de remodeler le foncier Les remembrements ont été tellement catastrophiques pour la biodiversité ! La capacité de rétention d’eau des sols a diminué, avec entre autres conséquences, une grande part de responsabilité dans les inondatons à répétition. Les économies, comme celle du tourisme par exemple en sont affectées.
Inondations en République tchèque hier, lundi 3 mars 2006
P.R. Cet aménagement est symbolique de la confusion où nous sommes. Le remembrement sensé donner une configuration rationnelle à l’espace rural, a au contraire abouti à son démembrement et à son enlaidissement. Comment ne pas regretter ces paysages modelés selon les critères de l’équilibre agro-sylvo-pastoral avec les haies, les bocages, et les villages qui semblaient émerger de la terre ? Une sorte de désert sans âme de blé, de maïs à l’infini …
...Un matin en Bretagne....
Labour vaches au pré