Je garde un morceau de rocher
(remontée de ce message depuis le mois de février, avec de nouvelles photos)
Je garde un morceau de rocher.
Le rocher et à l'horizon, l'île - Bretagne, 2006
C'est un gneiss gris clair avec des inclusions de granit rose qui lui font comme des yeux ou un semis de cœurs ovales.
Il vient d'un port béni par un saint moine irlandais du VIème siècle. Il est très vieux. Il a deux milliards d'années. La vie venait d'apparaître sur la Terre.
Il a connu les êtres unicellulaires, les algues bleues, l'Elginerpeton écossais, le premier poisson qui a mis les pattes sur le continent, puis les dinosaures, les oiseaux, Homo Erectus et Cro-Magnon qui ont cassé près de lui, quelques morceaux de sa voisine dolérite, pour se faire des outils. Il a été touché par saint Maudez, les Vikings, saint Yves, Anatole Le Braz et le Torrey Canyon.
Il regarde mon île depuis le dernier réchauffement de la Terre. Il regarde de ses milliers d'yeux de granit rose la couleur changeante de la mer et du ciel. Il sait qu'ici, les hommes n'ont trouvé qu'un mot pour dire le bleu et le vert de la mer, le bleu et le gris du ciel et de l'eau, le bleu liquide et aérien, l'humide, le brillant, l'impalpable.
Il héberge les lichens, les berniques, les balanes et les cloportes. Il sert de promontoire aux goélands, aux corbeaux et aux touristes.
Depuis qu'on sait qu'il est si vieux, on le casse, on l'émiette, on l'interroge, on le collectionne. Moi aussi, j'en ai pris quelques miettes. Je le regrette. Pourquoi faut-il toujours que les humains s'approprient les créatures de la Terre ?
Je n'avais pas d'intention particulière quand je les ai ramassés. Maintenant, je sais qu'un morceau m'était destiné. Il parle du temps, de la Terre, de la vie. Il parle un langage de pierre, il comprend la mer et le ciel. Il parle de la beauté inexpliquable qui nous porte et nous engloutit.