Sikidy
Le feu crépitait sous la pluie. L’eau ruisselait déjà sur l’herbe grasse, mais les flammes montaient toujours. Bientôt le chemin ne serait plus qu’un ruisseau de boue, impraticable en chaussures. Trop glissant. Seuls les pieds nus des enfants de la vallée pourraient courir, aériens, sur la piste défoncée.
Chaque pluie provoquait un éboulement. Chaque année il fallait reconstruire des ponts de corde au-dessus de la rivière, tailler des passages dans la forêt, lancer des échelles de bois pour franchir des précipices. Et quelquefois un pan de montagne dévalait vers la vallée, emportant un village avec lui. Un village souvent minuscule, composé de trois familles au plus. Mais il disparaissait tout entier, avec ses enfants, ses femmes, ses hommes, son bétail et son histoire. Cela arrivait environ une fois par demi siècle. Mais la menace, ajoutée aux éruptions du volcan et à la fréquence des cyclones provoquait chez ceux qui vivent ici, un apétit de jouissance de l’instant.
Le Barachois - La Réunion 1985
Dans ce paysage grandiose, la pluie meurtrière était pour tous un spectacle. En quelques heures, la grande rivière et toutes les ravines, qui sont à sec neuf mois dans l’année, se transformaient en torrents monstrueux. Et là-bas, en ville, je devinais la foule massée sur le port, clapotant sur les quais, trempée, quelques dérisoires parapluies ouverts, le visage offert aux embruns, observant le fleuve de boue se jeter contre les vagues de l’Océan.
Cependant le feu du vieil homme ne mourrait pas. Je ne le regardais plus taquiner ses braises en marmonant des incantations.